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Les enfants trouvés de 1817 à 1833 : sur 1481 enfants

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De 1817 à 1833, pas moins de 1481 enfants furent exposés dans  cette « boîte » de l’hospice des enfants trouvés de Marmande, soit en moyenne 82 enfants par an.
Bien entendu l’importance de ce chiffre doit être relativisée en raison du nombre élevé de décès et de la reprise par les familles de certains enfants abandonnés et/ou placés. En définitive, la population d’enfants trouvés ne progressait seulement que de 17 enfants en moyenne par an.


Ce « baby-boom » de l’abandon d’enfants n’était pas spécifique à Marmande, il s’inscrivait dans un mouvement général . Les chiffres avancés par Dr. Christian DAULOUEDE, dans sa thèse « Les enfants trouvés de l’Hospice de Marmande – 1809/1811 », le montre bien : le nombre d’enfants recueillis était effectivement moindre : 49 en 1808, 59 en 1809 et 62 en 1810… bien que la courbe de la hausse était en train de s’amorcer.
 
En réalité, il y eut des hauts et des bas. Si en  1818 et 1823 il n’y eut ( !) que  75 et 74 enfants exposés,  en 1821 et 1831, par contre il y en avait près de 40% de plus (106 et 113 enfants) ….liés vraisemblablement à de mauvaises conditions climatiques
On relève entre 1820 et 1822, localement,  une alternance d’hivers rudes et d’étés caniculaires propices à de mauvaises récoltes
De même en 1831, où des difficultés économiques liées à des troubles sociaux annonceront la Révolution de Juillet, aggravées par une épidémie de choléra en 1832. 

 

En tout cas la parité était respectée. Bon an, mal an…au final sur 17 années, il y eut autant de filles (740) que de garçons (741)  exposés dans la « boîte »
 
Quant à la mortalité, elle était très élevée (48,9%) et touchait des enfants en très bas âge. A titre de comparaison le taux de mortalité de l’ensemble des  nouveau-nés sur le territoire français était de 14%.
 


Des religieuses bonnes gestionnaires...
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Ceci dit, on y mourrait moins que  dans les Hospices de Paris et des grandes villes en général, où la moyenne nationale de la mortalité infantile était supérieure à 75%...et atteignait  84% à Paris.  
 Les causes de cette mortalité étaient diverses : nombreuses maladies  (variole, diphtérie, choléra, dysenterie, tuberculose…), malnutrition …et vraisemblablement syndrome de l’abandon. Bien évidemment ce concept  dirions-nous de nos jours !
 Toutefois, en milieu rural, et à Marmande en particulier,  la situation était moins critique car les enfants étaient très rapidement envoyés chez des nourrices.
Mais, on se rend compte en étudiant les plans de l’Hospice en 1820, 1821, et 1829,1 que les enfants trouvés n’étaient pas, et ne pouvaient pas, être gardés et élevés dans son enceinte. Il n’existait pour leur accueil, en tout et pour tout, qu’une grande salle attenante de l’infirmerie et du logement des sœurs.
En pratique et d’après les indications relevées sur les registres, il arrivait même qu’ « exposés » au petit matin, ils étaient dirigés vers une nourrice dans la journée.
 Ils ne restaient quasiment jamais au-delà de 2 jours à l’hospice et ce, pour une raison très simple : 89 % des enfants déposés, avaient moins d’un mois. Les soins d’une nourrice étaient nécessaires dans les plus brefs délais rien que pour les nourrir  et même si certaines nourrices n’étaient pas obligatoirement mère « allaitante »2
 
Pour la part, minime, d’enfants plus âgés il s’agit moins d’abandon que de placements par décisions administratives  ou par les propres parents indigents
 
Aussi la principale performance accomplie par les Sœurs de la Charité se situait principalement au niveau de leur parfaite gestion de cette population d’enfants et nourrices.

 
 
Elles ne procuraient pas les soins liés au maternage de ces enfants mais elles assuraient le placement, la rémunération des nourrices et le suivi de près de 1.500 d’enfants chez un millier de familles d’accueil dans un rayon d’action de près de 100 km.
Et ce, avec promptitude et à une époque où les moyens de communications restaient très limités.
 
Sans oublier qu’elles avaient d’autres charges importantes au niveau de l’hôpital : entretien et soins des malades, vieillards, infirmes…

Par contre, il est à peu près sûr qu’elles n’étaient pas toutes de première jeunesse.
Deux d’entre elles, ont pu être identifiées : Marie Hélène LAGREFFE qui décéda en 1835, âgée de 96 ans  et Gabrielle LANGLADE qui intégra la communauté de Marmande en 1820, âgée de 54 ans 3

 
Ce système reposait vraisemblablement sur un réseau constitué des curés et maires locaux qui non seulement étaient à l’origine de l’envoi de certains enfants à l’hospice mais étaient également les garants des nourrices. Sans parler des sages-femmes qui pouvaient, à l’occurrence, être les « porteuses » des enfants abandonnés, comme sur Marmande, où Marie RÈGLAT, sage femme, est mentionnée plus d’une fois dans les registres des enfants trouvés.
 
Ce qui explique, de même, malgré la présence de la « boite », que l’anonymat des mères était loin d’être total
 

 
 

Mais qui sont ces nourrices et  où vivent-elles ?
En dehors de Marmande intra muros (8%), les enfants furent envoyés (soit 92%), sur l’ensemble de cette période, dans pas moins de 121 villages qui, fait surprenant, n’étaient pas très proches, ni dans la même circonscription administrative4 et confiés à plus d’un millier de nourrices.
 
Ce déploiement, à grande échelle, est surprenant. Il ne devait pas être facile d’acheminer ces nouveau-nés à 15, 20, 30 km et même, pour quelques uns, près de 60 (Sainte Eulalie en Gironde)  et 100 km ( Marcillac en Gironde ou en Dordogne ?) de l’hospice.
 

Il est fort dommage que nous n’ayons pas plus de renseignements sur le transport de ces enfants : qui s’en chargeait ? Comment ?
 
Des études faites sur des grandes villes comme Paris, Lyon, Namur font état de véritables convois de nouveaux nés dans des charrettes pour les amener dans les campagnes. Ces conditions de locomotion étaient tellement dures qu’elles expliquaient, aussi, les forts taux de mortalité des enfants.
 
Or, à Marmande, rien n’indique que cette pratique fut utilisée d’autant que le nombre d’enfants transféré, jour après jour, se comptait par unité. Et les jours où il y en avait 2 ou 3,  il ressort des annotations dans les registres que bien qu’arrivés le même jour, ils n’étaient pas envoyés chez les nourrices d’un même village.
 
Plus couramment, 88% d’entre eux étaient « donnés »à des nourrices du Lot et Garonne6 :
 
Un gros tiers (37%) dans une zone de 10 km autour de Marmande qui correspondait aux cantons actuels de Marmande Est7  Marmande Ouest8, Le Mas d’Agenais, et Meilhan.
  • L’autre gros tiers (36,7%)  dans les villages des coteaux ouest surplombant la vallée de la Garonne correspondant au canton actuel de Seyches.
Il est à remarquer, cependant que deux villages furent particulièrement pourvoyeurs de familles d’accueil : Castelnau sur Gupie dans le canton de Seyches et Lévignac sur Guyenne dans le canton de Duras qui accueilleront respectivement près de 7% et 7,8% de ces enfants. Presque autant qu’à Marmande !
  
Il ne faut pas se leurrer, la motivation principale des nourrices était d’ordre économique : l’occasion pour les parents nourriciers  de « mettre un peu de beurre dans les épinards », grâce à la pension versée dans un premier temps, puis ensuite grâce aux bras supplémentaires apportés pour les travaux des champs et/ou  l’entretien de la maison.
 
Cet aspect lucratif de la fonction est illustrée, par exemple par le placement de ces enfants chez des veuves.
Au total, 103 enfants furent placés chez des veuves, dont la moitié  exclusivement à Lévignac(19)  et Marmande (37).
Non pas qu’il y ait eu plus de veuves dans ces deux lieux, mais les autorités en place (le maire, le curé ?...) eurent assurément l’intelligence dans un souci de bonne gestion des deniers de la commune ou de la paroisse, de délivrer des certificats de bonne conduite  prioritairement à des veuves leur permettant d’exercer cette activité et obtenir des revenus sans avoir recours à la charité publique.
Evidemment l’histoire ne dit pas si elles étaient meilleures nourrices, d’autant que ce n’était pas la préoccupation première des uns et des autres : sur les 103 enfants placés, 39 d’entre eux étaient des  nouveau-nés.
 Quant aux nourrices, il s’agissait vraisemblablement, et en grande majorité pour le premier placement des nouveaux nés de mères allaitantes. Ensuite, rien n’était moins sûr, surtout lorsque l’enfant prenait de l’âge.



1« Hôpital de Marmande en 1897 : étude historique » de Florence DUPART – Thèse de médecine-1999)
2-  Les nourrices non « allaitantes » nourrissaient l’enfant avec du lait de vache coupé d’eau, dans lequel elles trempaient un morceau de tissu que l’enfant suçait..
3Il reste très difficile d’établir la véritable identité de ces religieuses. D’après les recherches effectuées par Sœur Alphand aux archives de la confrérie à Marseille, seuls les patronymes « civils » apparaissentCes deux religieuses semblent correspondre aux mères supérieures qui se sont succédées de 1817 à 1830, et qui seraient donc  Sœur Victoire et Sœur Louise que l’on retrouve tout au long de cette période.
  4Ce qui en soi est tout à fait logique puisque Marmande se trouve à quelque 20 km de la frontière administrative Lot et Garonne/Gironde. D’ailleurs, 75% des enfants placés en Gironde, se trouvaient dans des villages limitrophes de cette « frontière » : Lamothe, Mongauzy, St Vivien, St Michel de Lapujade…
5- Terme souvent utilisé dans les annotations du registre des enfants trouvés.
6- 11,6% en Gironde et le reste en Dordogne.
 7- Marmande Est :  Birac, Fauguerolles, Hautesvignes, Longueville, St Pardoux du Breuil, Taillebourg, Virazeil.
8-  Marmande Ouest :Beaupuy, Mauvezin, Ste Bazeille, St Martin Petit


La Gazette Web
 
.....suite dans mon livre "Les noms perdus des enfants trouvés".....
 
 



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